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Kebra Negast et le christianisme éthiopien

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L'arrivée du christianisme en Ethiopie bien qu'aujourd'hui encore racontée sous forme de légendes fera l'objet de cette étude de l'histoire du christianisme éthiopien. Mais de quelle Ethiopie s'agit-il lorsqu'il est question de l'arrivée du christianisme dans la Corne de l'Afrique au IIIème siècle?


Quelques éléments nous initient à l'histoire éthiopienne que l'on trouve de manière plus synthétique dans le récent ouvrage de Berhanou Abebe Histoire de l'Ethiopie d'Axoum à la révolution. Paris: Maisonneuve & Larose, 1998 ainsi que dans un article de Bengt SUNDKLER & Christopher STEED A history of the Church in Africa. Cambridge: University Press, 2000, 1232 pages. Une bibliographie permet d'approfondir ces grandes lignes que nous nous proposons d'esquisser ici.


Le royaume de Saba
L'Ethiopie était déjà connue des auteurs anciens, ceux de la Bible où elle est mentionnée sous l'appellation de pays de Coush localisé non loin du Nil selon Genèse 2:13. La Septante donnera en traduction le terme grec "ethiopia". Saba est mentionné par l'Ancien et le Nouveau Testament. Selon des traditions égyptiennes, il est question d'un "pays de Pount". Le poète grec Homère au VIIIème siècle avant J.-C parlait de l'Ethiopie comme le pays des gens au visage brûlé.

L'archéologie a révélé dans le Nord de l'Ethiopie, aujourd'hui nommé le Tigray, des inscriptions et des monuments appartenant la culture sabéenne datant du Ve au IIIe siècle avant J.-C. Cette même culture se trouve ainsi répandue sur les deux rives de la Mer Rouge! On a d'abord émit l'hypothèse selon laquelle ces éléments constituaient les traces de la colonisation du plateau éthiopien par les arabes du Sud, ce qui expliquerait le type et la forme sémitique de la langue guèze dont l'alphabet semble être issu des caractères sabéens géométriques et non vocalisés. L'état de la recherche montre qu'aujourd'hui cette hypothèse doit être nuancée car s'il est vrai qu'entre le Ve et IIIe siècle avant J.-C il y avait une relation entre les populations des deux rives de la Mer Rouge est que cette situation laisse apparaître des points communs, voire même une certaine uniformité culturelle due aux liens historiques plus forte que les différences, on ne peut toutefois pas vérifier cette hypothèse pour une période plus lointaine, antérieure au Vème siècle.


La civilisation axoumite
Le royaume d'Axoum n'est sans doute pas le seul royaume ayant existé dans cette région bien qu'il fut porteur d'une importante richesse commerciale et de développements culturels. Ainsi des commerçants d'Axoum vendaient-ils leurs marchandises jusqu'en Perse et à Byzance, vers les Indes…
Vers le VIème siècle le grec était encore la langue officielle dans le royaume mais une nouvelle langue, plus adaptée à la rencontre des cultures sémitiques se forgeait: le guèze. Le Nouveau Testament jusqu'à là existant en grec fut traduit en guèze par des moines syriens à partir d'un original sans doute en syriaque, d'Antioche. D'autres œuvres y furent introduits et traduits très tôt. Ce sont des livres considérés comme apocryphes par les Eglises mais acceptés par le Canon de l'Eglise Ethiopienne. Le livre d'Hénoch, l'Ascension d'Isaïe, l'Apocalypse d'Esdras, le pasteur d'Hermas, l'Evangile de Mathias…


Cet événement parlerait-il alors plus des Neuf Saints syriens avec lesquels serait venu le christianisme ainsi que de l'Eglise d'Alexandrie qu'en faveur du récit sur l'eunuque éthiopien ministre de la reine Candace?
Beaucoup de chrétiens, occidentaux ou africains croient que le christianisme a été introduit par le ministre de la reine Candace de retour d'un périple sur les routes menant à Jérusalem où il se fit baptiser par Philippe selon le récit de Actes 8, 26-39. Cependant, l'historicité de ce personnage n'est jusqu'à aujourd'hui pas vérifiée et laisse plutôt penser au royaume de Méroé en Nubie dans la région de l'actuel Soudan.


Ainsi, devons nous nous référer à une autre source d'histoire qui est le synaxaire éthiopien, le livre des saints d'après lequel Frumence, un chrétien laïc syrien, naufragé fut introduit à la cour du souverain éthiopien. Après avoir été consacré évêque par le patriarche d'Alexandrie et après avoir convertit le souverain Ezana au christianisme en 330 environs, il contribua à l'expansion de ce christianisme dans la région d'Axoum. Le roi Ezana et son frère furent alors appelés Abreha et Asbeha. Frumence l'évangélisateur également appelé " l'illuminateur de l'Ethiopie" est encore vénéré sous le nom de Aba Salama, le Père de la paix. Aujourd'hui encore est visible à Axoum une pierre commémorant la conversion d'Ezana ainsi que des conquêtes militaires du IVème siècle écrite en sabéen, en grec et en guèze. Les monnaies de la première partie de son règne portaient le signe du croissant de lune alors que celles de la seconde partie de son règne étaient ornées de la croix chrétienne. Ainsi les symboles païens remplacé par le symbole chrétien attestent un changement religieux et politique étroitement liés l'un à l'autre.

Cependant après la conversion officielle du roi attestée par un monument à Axoum, la christianisation ne fut sans doute pas aussi rapide qu'on l'aurait imaginé. En effet, il fallu près de 7 siècles au christianisme pour atteindre le sud de la région du Tigray car la christianisation de l'Ethiopie ne se fit réellement qu'après le Concile de Chalcédoine au Vème siècle.


Ainsi le royaume de Saba et la civilisation d'Axoum formaient le contexte culturel, politique, religieux et économique dans lequel a pu naître et se répandre un christianisme éthiopien appelé à garder son authenticité jusqu'au XXème siècle. Sa venue et son développement en tant que christianisme éthiopien feront l'objet de la partie qui suivante.


Naissance d'une église et de l'histoire sainte en Ethiopie
L'histoire du christianisme dépend en grande partie de celle de l'Eglise Copte d'Egypte dans laquelle les grandes célébrations que l'on trouve actuellement encore dans le christianisme étaient courantes. En effet, Timkat, en mémoire du baptême du Christ était célébrée au bord du Nil dans tout son faste et ses couleurs. Les diacres ou ces assistants des prêtres, aussi appelés les debteras exécutaient des danses liturgiques. Mais la source la plus intéressante pour la connaissance de la foi et des coutumes éthiopienne est pour l'historien la présence des textes de l'Ancien Testament. Ceux-ci sont au fondement des traditions éthiopiennes mais n'étaient pas sans provoquer de conflits avec l'Eglise copte d'Alexandrie. Avec l'élaboration des traditions orales à partir du VIème siècle de notre ère puis écrites au XIIème siècle du chef d'oeuvre de la littérature guèze, Kebra Nagast La Gloire des Rois, les chrétiens éthiopiens se considèrent de plus en plus comme le peuple héritier non seulement du christianisme mais plus encore de la place qui était réservé à Israël. D'après Tadesse Tamrat, historien éthiopien, ce processus commença lorsqu'au VIème siècle, un roi axoumite Elasb adopta le nom de Kaleb. Ce fut donc le premier roi éthiopien à porter un nom biblique d'autant plus qu'il a un fort caractère symbolique dans le sens où, d'après le livre des Chroniques, il était porté par un jeune représentant de la tribu de Juda appelé par Moïse et Josué à explorer le pays de Canaan, la Terre Promise.
Ainsi, le nouvel Israël se trouva déplacé en Ethiopie où les habitants sont gouvernés par les descendants de la reine de Saba et de Salomon. De même le symbole de l'alliance de Dieu avec son peuple, l'arche de l'alliance semble être gardée à Axoum, ce que nous rappellent aussi les Tabote Sion, sorte de petites copies de l'arche qui se trouvent dans chaque église orthodoxe.


Le peuple éthiopien n'est pas resté sans devoir se justifier: cela se fit par la rédaction du Kebra Nagast s'appuyant sur des textes bibliques. Le peuple d'Israël aurait compromis sa position d'héritier et de peuple élu de Dieu en crucifiant Jésus Christ alors que celui-ci a été accepté et adoré par le peuple de la reine du Sud de laquelle Jésus lui-même parlait à ses disciples en Matthieu 12:42 ou Luc 11:31. C'est cette reine qui est identifiée avec la reine de Saba par les savants éthiopiens au Moyen Age.


C'est donc le long processus d'auto identification avec le peuple d'Israël qui donna les caractères bibliques à l'Ethiopie chrétienne. Ces caractères de l'Ancien Testament pouvaient être attribués à l'immigration de juifs en Ethiopie selon Edward Ullendorf . D'autres éléments semblent plutôt dériver des traditions alexandrines tels que la vénération de la sainte croix lors de la fête de Meskerem en septembre, la célébration de Timqat au mois de janvier commémorant le baptême du Christ, la vénération de la Vierge Marie et des Saints.

L'Eglise Orthodoxe éthiopienne d'origine apostolique est sans doute alors la plus ancienne d'Afrique après l'Eglise copte d'Egypte. Selon les traditions orales, elle aurait été fondée par l'apôtre Mathias ayant remplacé Juda dans le groupe des disciple de Jésus. L'Eglise d'Ethiopie entretint donc d'étroites relations avec l'Eglise d'Alexandrie bien que l'Egypte tomba sous l'Islam à partir de 640.


La légende des Neuf Saints et le monachisme éthiopien

Au IIIème siècle des ermites vivaient reclus dans le désert égyptien et au IVème siècle des communautés régies par des règles strictes virent le jour, tel que celle de St Pachôme sur la base du message évangélique "Si tu veux être accompli quitte tes biens…" Des monastères se concentraient dans la région du Tigray autour d'Axoum

Les Neuf Saints sont aujourd'hui encore particulièrement vénérés. Ils sont d'origine étrangère: Za-Mikael mieux connu sous le nom de Aragawi, l'Ancien avait séjourné dans un couvent égyptien sous la règle de Pachôme. Son monastère est celui que l'on trouve actuellement sous le nom de Débré Damo, perché sur un rocher accessible uniquement par des cordages et des échelles alors que la légende y raconte qu'un moine Saint Michel y fut hissé par un énorme serpent. Pantalewon, semble être un nom syrien auquel est attribué un monastère dans les hauteurs d'Axoum. Les autres étaient Isaak, Gouba, Afse, Alef, Mata, Libanos et Sehma. Ce sont donc probablement ces neuf saints qui ont introduit la règle de Saint Pachôme et qui furent à l'origine des premiers établissements monastiques.
Ces ermites encore appelés Tsadqan n'ont pas fondé de véritables monastères tels que nous les voyons aujourd'hui dans le christianisme occidental ou plus particulièrement dans le catholicisme africain. Mais ils menaient une vie très austère, ascétique. L'un est réputé pour n'avoir mangé que de l'herbe, l'autre pour être resté debout sur un pied durant tout sa vie, ou encore pour n'avoir jamais dormi couché… Afse se serait établit à Yeha non loin d'Axoum, endroit connu pour ses monuments axoumites, des temples à fort caractère païen transformés en églises.


Les controverses théologiques et les schismes

A la suite du Concile de Chalcédoine, l'Eglise d'Ethiopie fut entraînée à adhérer à des doctrines dont elle n'avait q'une connaissance limitée et plus particulièrement à la doctrine monophysite à la suite de l'Eglise Copte d'Egypte de laquelle elle dépendait alors. Les ermites, en Ethiopie appelés Tsadkan, c'est-à-dire les Justes ainsi que les Neuf Saints participaient à l'évangélisation de la région nord de l'Ethiopie, bref de la campagne axoumite.


Ainsi, les chrétiens d'Ethiopie admirent les décisions du concile de Nicée en 325, puis encore celles du Concile de Constantinople en 381 et d'Ephèse en 431 alors qu'ils refusèrent la doctrine dyophysite du Concile de Chalcédoine en 451 affirmant que le Christ possède deux natures distinctes: la divinité et l'humanité. D'où le nom de monophysites, selon lequel le Christ n'aurait qu'une seule nature la divinité parfaitement unie à celle de l'humanité. Toutefois, les éthiopiens refusent d'être appelés monophysites et préfèrent le terme de myaphysites qui est la traduction du terme éthiopien Tewahido, signifiant unité.


Le clergé disputait à de nombreuses reprises ces distinctions théologiques qui finalement n'ont eu que peu de répercussions sur la piété populaire. La conséquence de l'adoption de cette doctrine chère à l'Eglise copte d'Egypte est le renforcement de l'Eglise Ethiopienne avec cette dernière.
La reconnaissance de la doctrine myaphysite, ou pour nous la doctrine monophysite, ne suffit pas à définir le christianisme éthiopien. Ce christianisme présente des particularités très surprenantes qui ne sont pas encore toutes expliquées ( par exemple d'où vient la circoncision?) La judaïsation de l'Ethiopie semble avoir eu lieu dès le premier siècle de notre ère vu l'importance des éléments d'origine hébraïque apparaissant dans le christianisme éthiopien.

La renaissance
Au milieu du XVème siècle, le roi Zara Yacob réforma l'Eglise Orthodoxe d'Ethiopie et restaura la situation politique. Les Stéphanites, ses opposants étaient des chrétiens refusant de se prosterner devant l'image de la Vierge Marie. Ils furent persécutés et surnommés les Sere Maryam, les ennemis de Marie. Le culte marial se développa considérablement. Une tradition voulut que lors de leur fuite devant les persécutions de Hérode Marie et Joseph arrivèrent jusqu'en Ethiopie.


En ce temps de renaissance un grand nombre de saints locaux émergèrent avec leur propres histoires extraordinaires nommées kidan devenus un genre littéraire de l'hagiographie.
Ainsi cette période du XIIIème au XVème siècle se caractérise par un extraordinaire mouvement de renouveau avec la vénération des Saints. Celle-ci n'était pas sans produire un esprit de compétition entre les monastères fondés ou voués à l'un de ces saints. Les hagiographies et des récits fabuleux se développèrent et contribuèrent donc au développement du pouvoir spirituel des saints ainsi qu'à l'édification de la vie spirituelle des fidèles.

Lutte contre le catholicisme portugais

Lorsque le missionnaire et explorateur portugais Francisco Alvarez arriva en Ethiopie il y rencontra, à sa grande surprise, un pays déjà christianisé ayant su garder intacte sa foi chrétienne enrichie par une culture originale. Cette foi s'exprimait aussi à travers des grands monuments comme ces églises taillées dans le roc des montagnes au XIIème siècle.


Une méfiance de la part des éthiopiens à l'égard de toute religion nouvelle et de ses représentants. En effet, des missionnaires jésuites était envoyés par le Vatican pour inféoder l'Eglise éthiopienne à la hiérarchie romaine. Or cette mission allait supprimer la liberté religieuse des éthiopiens qui avaient demandé l'aide des troupes portugaises de Vasco de Gama pour lutter contre l'avancée de l'islam. L'alliance proposée par le Vatican fut donc de courte durée de 1626 à 1632.

Après les destructions massives des églises et des villages par les troupes d'Imam Ahmed Gragne, dit le Gaucher, bien que vaincu par les chrétiens éthiopiens soutenus par un corps expéditionnaire portugais en 1543, le pays se morcela par les querelles dynastiques. Néanmoins, L'Eglise éthiopienne resta une force d'unification lors de multiples menaces extérieures telles que l'Egypte au XIXème siècle qui craignait que les Ethiopiens allaient arrêter les eaux du Nil. En 1896, l'Italie dont les forces armées tentaient d'envahir l'Ethiopie, fut battue. Mussolini tentera une autre invasion de 1936 à 1941.


L'arrivée des missionnaires occidentaux
Au Moyen Age, l'image que les européens avaient de l'Ethiopie était celle d'un royaume chrétien appartenant à un roi, le prêtre Jean. Légende et histoire étaient déjà confondus. Les savants européens spéculaient sur la localisation de ce mystérieux royaume chrétien s'étendant de l'Ethiopie jusqu'en Indes. Finalement, on s'est rendu compte que ce royaume chrétien n'avait pas de frontières fixes, ni de royauté aussi puissante que la légende répandue en Allemagne et en France le suggérait. Ce qui importait était de savoir qu'il existait des chrétiens quelque part dans la corne de l' Afrique alors que la conception du monde d'alors voulait qu'il y ait d'une part des chrétiens en Europe et des païens ailleurs. Pour l'Ethiopie il en allait autrement. La présence des chrétiens orthodoxes était plus que troublante pour les aventuriers, explorateurs mais aussi pour les missionnaires qui accompagnaient les armées, les jésuites…Le cas de l'Ethiopie était d'autant plus particulier que ce christianisme était schismatique. Ses doctrines devaient être rectifiées, corrigées, voire même être remplacées par celles de l'Eglise catholique romaine ou par celles issues de la Réforme!


Dès 1632 Peter Heyling, un médecin et missionnaire allemand arriva depuis l'Egypte. Lors de ses conversations avec les prêtres orthodoxes il s'efforçait de leur faire part de la doctrine luthérienne. Il s'attacha à traduire certaines partie de la Bible en amharique, langue courante de l'Ethiopie alors que le guèze était la langue littéraire et surtout liturgique des orthodoxes. Or peu nombreuses sont les traces écrites ayant pu être conservées jusqu'à aujourd'hui.

En 1832, un autre missionnaire Samuel Gobat au service de la Church Missionary Society de Londres arriva depuis Alexandrie. Après un apprentissage de la langue amharique durant trois ans il œuvra à Gondar alors la capitale de l'Abyssinie. Il y traduit également le Nouveau Testament en amharique.

Ces deux missionnaires sont réputés pour ne pas avoir été engagés dans une polémique avec les orthodoxes. Ils ont tous deux enseigné un christianisme évangélique, traduit les écritures dans la langue courante et se sont attaché à créer un mouvement de réveil ou de renouveau dans l'Eglise Orthodoxe. Leur intention n'était donc pas de créer une nouvelle église! Son travail était fort apprécié et pourtant Goba du quitter le pays sous la pression du clergé.
Dr Ludwig Krapf, un missionnaire allemand lui succéda et échoua de même dans sa tentative de création d'un mouvement de renouveau au sein de l'Eglise Orthodoxe. Il ne dut pas quitter le pays mais réalisa un grand travail auprès des Oromo, alors aussi appelé Galas.


Par ailleurs, après deux siècles d'interruption l'Eglise Catholique Romaine reprit ses activités missionnaires avec Jacobis un prêtre italien qui oeuvre à répandre la doctrine catholique sans polémique avec les orthodoxes. Pour cela il avait appris la langue du peuple, adopté les coutumes et vivait en faisant vœux de pauvreté. Mais c'est à partir du moment où il fut nommé officiellement évêque catholique pour l'Ethiopie qu'il rencontra une résistance plus forte.

Les premiers contacts des missionnaires étaient chaleureux. Les premiers missionnaires reçus par les empereurs étaient invités à œuvrer au sein de la déjà très vieille Eglise orthodoxe. Mais les relations avec le clergé se détériorèrent rapidement lorsque les missionnaires tels que Krapf ou Isenberg refusèrent de célébrer l'eucharistie avec les orthodoxes alors que leur politique officielle était d'œuvrer au sein de l'Eglise orthodoxe et non de créer une église "protestante". Remarquons, qu'il ne s'agissait pas d'un problème dogmatique mais tout simplement d'un refus catégorique des coutumes éthiopiennes, d'un style de vie ascétique marqué par un grand nombre de jeûnes et de rites de purification. Ainsi, les missionnaires protestants venus en Ethiopie voulaient-ils initier une réforme dans l'Eglise orthodoxe, revitaliser les traditions chrétiennes, changer les habitudes mais n'ont pas l'effort d'étudier les traditions comme l'ont fait les missionnaires catholiques. Ces derniers avaient sans doute eu plus d'affinité avec les rites et le guèze, la langue liturgique. Néanmoins les missionnaires protestants se sont plutôt adonnés à l'étude et à la traduction de la Bible en langues vernaculaires afin de pouvoir transmettre ce qu'ils avaient apporté de leur pays d'origine. Ludwig Krapf en fit partie lorsqu'il découvrit en 1840, que le guèze seul est la langue ecclésiastique en Ethiopie mais qu'il ne l'apprit jamais.

Au temps de l'empereur Ménélik II, des missionnaires suédois, finlandais, allemands, norvégiens furent appelés à travailler au près du peuple Oromo, alors aussi appelé Gala. Cette oeuvre missionnaire se plaçait dans un cadre politique qui était l'unification des peuples en un royaume chrétien à partir duquel devait naître l'Ethiopie Moderne .


Naissance de l'Eglise Luthérienne
Le mouvement piétiste et de renouveau suédois engagé par un prédicateur laïc O. Rosenius manifesta très tôt le désir de porter l'Evangile aux extrémités de la terre. Ce mouvement se constitua en société missionnaire en 1861 et sur les conseils du Dr Krapf, des missionnaires furent envoyés dans le nord de l'Ethiopie, plus particulièrement à Massawa au bord de la Mer Rouge. Mais une fois arrivés sur place beaucoup d'entre eux étaient terrassés par la fièvre. A cela s'ajoutaient les conflits aux frontières avec l'Egypte. Pourtant c'est à partir de là qu'ils étaient peu à peu appelés à gagner le Sud du pays pour œuvrer parmi les Oromo.


Nesib, ou du nom de baptême Onesimus, à sa sortie de l'école des garçons dirigée par les missionnaires qui accueillait des garçons libéré de l'esclavage fut envoyé en Suède pour y effectuer des études de théologie. A son retour en Ethiopie il dut toutefois attendre quelques années avant d'obtenir l'accord de l'empereur Ménélik II pour évangéliser les Oromo car celui-ci voulait à tout prix éviter d' avoir deux sortes de christianisme dans son empire. Onesimus prépara du matériel catéchétique en traduisant de nombreux livres d'édification en langue oromo, mais surtout le Petit Catéchisme de Martin Luther. En 1877 Onesimusl fut finalement autorisé par l'empereur à se rendre dans l'ouest de l'Ethiopie en pays oromo nommé Wollega. La Bible fut entière traduite en oromo pour la première fois et fut imprimée en Suisse en 1899.

Le 9 novembre 1881, l'expédition dans le Wollega organisée par un pasteur suédois Arrhenius et Onesimus à travers le Soudan de plus de 2000 Km échoua car le pays oromo en guerre et ils durent tous revenir à Massawa. Arrhenius mourut en cours de route et Onesimus tenta à trois reprises d'atteindre le Wollega puis commença son oeuvre missionnaire tout au sud de l'Ethiopie parmi les Borana dans la Province du Sidamo où il mourut à l'âge de 75 ans en 1931
Ce n'est qu'en 1903 qu'un pasteur suédois Carl Cederquist obtint la permission de l'empereur Ménélik II pour commencer le travail missionnaire dans la capitale Addis Abeba. Il y œuvra en tant que pasteur et médecin tout en rencontrant de nombreuses résistances de la part de l'Eglise Orthodoxe car il organisait des rencontres dominicales pour ses étudiants. Ce missionnaire avait encore la même intention que ses prédécesseurs: travailler au sein de l'Eglise Orthodoxe et y œuvrer à un mouvement de renouveau.

Un important changement se produit avec son successeur Olle Erikson qui introduit un service liturgique luthérien suédois en langue amharique dans ses rencontres avec les étudiants. Puis le 10 octobre 1921 un premier baptême fut célébré dans son groupe de rencontre devenu une congrégation évangélique à Addis Abeba. Trois musulmans y furent baptisés et quatre orthodoxes admis dans la congrégation par la célébration de leur confirmation . Le même modèle de création de congrégations évangélique se reproduisit dans l'Ouest de l'Ethiopie parmi les Oromo à l'arrivée de la Mission suédoise en 1920. Pour garder une bonne coopération avec l'Eglise Orthodoxe un responsable éthiopien y fut engagé et la congrégation continua de faire partie de la mission suédoise jusqu'en 1936, date du départ des missionnaires à cause de la Seconde Guerre Mondiale.

En 1927, répondant à l'invitation du Dr Krapf, la Mission allemande de Herrmansbourg commença également l'évangélisation des Oromo dans le Wollega. Cette société missionnaire avait en effet déjà tenté un envoi lors de l'expédition du suédois Arrhenius et Osenimus en 1853 mais sans succès. Cette fois, quatre missionnaires allemands eurent la permission de l'empereur de travailler au village nommé Aïra dans le Wollega.


Par ailleurs la mission anglo saxonne Sudan Interior Mission oeuvra surtout dans le sud de l'Ethiopie.
Ces missions n'avaient pas l'intention de créer de nouvelles églises mais de contribuer à la formation d'une grande église nationale. Mais leur chemin prit un tournant avec l'occupation italienne en 1935. Les missions protestantes étrangères se rangèrent du coté de l'Ethiopie contrairement aux catholiques italiens. A partir de là les difficultés devinrent nombreuses : fermeture de toutes les écoles protestantes, les jeunes congrégations évangéliques n'étaient pas préparées à être brusquement séparées des missionnaires qui durent quitter le pays jusqu'à la libération de l'Ethiopie en 1941 lorsque l'empereur Haïlé Selassié exilé en Angleterre fit son entrée triomphale à Addis Abeba.
A la libération de l'Ethiopie la congrégation d'Addis Abeba jugea bon avec le pasteur Badima, un éthiopien de se constituer en Eglise indépendante de l'Eglise Orthodoxe. Etait-ce dû à l'absence de missionnaires étrangers à la congrégation durant les temps difficiles de l'occupation italienne?


Différents groupes ethniques se rencontraient alors dans cette congrégation qui devint l'Eglise Mekane Yesus avec la réunion de toutes les autres congrégations évangéliques qui s'étaient formées et regrouprées dans le Wollega en 1944 sous forme de conférence des églises (congrégations ) évangéliques éthiopiennes! Par ailleurs, ces congrégations étaient fondées par des missionnaires de différentes origines ce qui ne devaient pas toujours faciliter les rencontres. En 1946 le but de la rencontre était d'œuvrer ensemble en vue d'une Eglise Evangélique Ethiopienne. L'empereur demanda aux missionnaires de prendre en charge le système éducatif en Ethiopie. A côté des écoles, des instituts de formation propre à chaque mission furent crées à partir de 1949 ce qui produit de nombreuses théologies parfois divergentes.

A l'initiative de la FLM un comité des sociétés missionnaires s'était regroupé à Addis Abeba en 1951 et a décidé d'œuvrer pour un intérêt commun en tant que missions luthériennes en Ethiopie sans interférer à l'action du conseil chrétien d'Ethiopie déjà existant. Rendre accessible l'évangile à tous les peuples d'Ethiopie. Encourager la prise de responsabilité pouvant conduire les églises à l'autonomie.

Nous pouvons donc constater que la construction de nouvelles églises, d'écoles et de dispensaires semblait être plus urgente que l'organisation des communautés déjà existantes en une Eglise. Et pourtant le besoin de formation des leader des communautés ne tarda pas à se faire ressentir. En 1954, deux missionnaires, Gustv Aren et Manfred Lundgren furent appelés à présenter une confession commune pour la future Eglise Evangélique. Notons qu'ils n'avaient pas encore choisi d'apposer la dénomination luthérienne au nom de la future église car il y avait aussi des chrétiens de tendance presbytérienne aux réunions. L'idée d'une église évangélique unie fut aussitôt abandonnée en faveur de celle d'une Fédération d'églises évangéliques au sein de laquelle chaque congrégation pouvait garder sa dénomination. Or l'esquisse d'une constitution pour cette fédération fut également refusé lors de la grande conférence de 1954. C'était un décision prises par les Ethiopiens eux-mêmes.


En 1955, une autre rencontre organisée par la FLM permit l'unité luthérienne en Ethiopie.
Le 5 avril 1957, la congrégation d'Addis Abeba, posa sa candidature à la FLM par Emmanuel Abraham qui s'était fait remarquer lors de la rencontre de 1955. En même temps le comité des missions étrangères reposait la question de la formation d'une église évangélique luthérienne en Ethiopie. A partir de là, une nouvelle rencontre fut fixée en janvier 1958 à Addis Abeba lors de laquelle les différentes congrégations d'Ethiopie purent se joindre en une église luthérienne unie. Entre temps une mission américaine débarqua en Ethiopie et se joignait aussitôt au comité des missions en la personne du Dr Schaefer enrichi de son expérience missionnaire en Indes. Sa proposition d'une constitution doctrinale pour la future grande église fut acceptée par le comité. Ainsi, en 1958 les représentants des congrégations et des missions purent se réunir et donner une structure et un nom à leur grande église unie: Eglise Evangélique Mekane Yesus: l'endroit où habite Jésus, du nom d'une église d'Addis Abeba édifié en 1950 que l'on appelle aujourd'hui encore la paroisse mère. Cependant, la même année lui fut ajouté l'adjectif "Ethiopienne": Ethiopian Evangelical Church Mekane Yesu (EECMY); cela pour montrer qu'il s'agissait bien d'une église nationale éthiopienne et non d'une église constituée par des étrangers! Le premier président en fut Emmanuel Gebré Selassié en 1959. L'Eglise Evangélique Ethiopienne Mekane Yesu était alors constituée de 4 synodes. Aujourd'hui elle en compte 14.


Quelle forme avaient alors les relations entre cette nouvelle église et les sociétés missionnaires? C'était surtout par rapport à l'Eglise Orthodoxe que Mekane Yesu devait clarifier sa position pour ne pas être considérée par les orthodoxes comme une église pour les étrangers. Pour cela l'EECMY avait besoin d'un statut indépendant reconnu par l'Etat. Le second président, Emmanuel Abraham demanda à ce que les missions soient pleinement intégrées, ce qui permit à l'EEMCY de devenir l'employeur de missionnaires! L'EECMY fut reconnu par l'Etat en 1969 comme une institution.


En 1973, l'EECMY faisait aussi partie de la Conférence de Tout l'Afrique (CETA) et en 1978 elle posa sa candidature au World Council of Churches, le Conseil Mondial des Eglises.



L'ouverture de l'Ethiopie à l'Occident

La dépendance de l'Eglise éthiopienne de l'Eglise copte n'était pas sans tensions. Les évêques pour l'Ethiopie étaient des égyptiens ou d'autres étrangers nommés par le patriarche d'Alexandrie. Le métropolite ou le patriarche de l'Eglise Orthodoxe était de tout temps un étranger: un égyptien tel que abouna Salama avait alors le même profil qu'un missionnaire protestant, ignorant des traditions et des langues éthiopiennes. Son bagage culturel et intellectuel était fortement influencé par le monde occidental… et pourtant il faisait partie de l'Eglise d'Ethiopie. C'est en cela qu'il pouvait être considéré comme un médiateur entre les différents facteurs sous tension.

L'Eglise Orthodoxe d'Ethiopie obtint, après de longues tractations son émancipation canonique par rapport à Alexandrie avec l'ordination de 5 évêques autochtones en 1929.
En 1944, sa Majesté l'empereur Hailé Selassié créa une école de théologie pour l'Eglise Orthodoxe Ethiopienne. Son directeur était un arménien suivi d'un syrien.
Enfin en 1959, un accord définitif consacra l'Eglise Orthodoxe d'Ethiopie comme Eglise autocéphale avec un patriarche, un catholicos, appelé abouna par les éthiopiens. Celui-ci préside un synode composé de 22 évêques maintenant tous éthiopiens. Toutefois, ce synode reconnaît encore le patriarche d'Alexandrie comme patriarche d'honneur. L'abouna éthiopien est assisté par un étchéguié, chef monastique jouant un rôle considérable avec les quelques 800 monastères placés sous son autorité.


Conclusion
Après de multiples épreuves les églises d'Ethiopie restent une réalité vivante, voire même incontournable. Leur histoire pouvant se caractériser par la résistance et la réussite en fait une légende et un exemple pour les jeunes églises africaines.

Le protestantisme de l'Ethiopie actuel se définit moins par rapport à l'Eglise catholique romaine que par rapport à l'Eglise Orthodoxe d'Ethiopie devenue très tôt comme nous l'avons vu une institution d'Etat. D'autres dénominations constituent avec l'EMCY, qui sans doute la plus représentative des communautés fondées au début de ce siècle avec actuellement plus de 3,5 millions de fidèles luthériens, un ensemble se distinguant de l'Eglise orthodoxes de par leurs origines étrangères: les ménonites, baptistes, méthodistes, pentecôtistes…


BIBLIOGRAPHIE


Berhanou ABEBE Histoire de l'Ethiopie d'Axoum à la Révolution.

Samuel MAHLER Kebra Negast La gloire des rois d'Ethiopie. Paris: La Boutique des Artistes, 166 pages
S. Pierre PETRIDES Le livre d'or de la dynastie salomonienne d'Ethiopie.
Paris: PLON, 2964, 292 pages.

Bengt SUNDKLER & Christopher STEED A history of the Church in Africa. Cambridge: University Press, 2000, 1232 pages.

Tadesse TAMRAT Church and State in Ethiopia 1270-1527. Oxford : Clarendon Press, 1972, 327 pages.

Edward ULLENDORF Ethiopia and the Bible. London: Oxford University Press, 1968, 173 pages.

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